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Trop pour rien

J'étais un peu abasourdi, et déprimé je dois le dire, récemment, par mon apparente incapacité à rien trouver à dire. Prendre la plume, le papier, sentir le besoin urgent de griffonner, de noircir, de combler les sillons, de semer, de déchirer quelque chose, bordel ! Ce peut être destructeur, l'urgence créative... Et rien, pourtant, qui ne vient.

Croire alors qu'on a rien à dire, et se morfondre en s'imaginant que le vide entre nos oreilles est un gaspillage invraisemblable d'espace marqué par une absence phénoménale de connexions dendritiques.

Et cependant, si on picore un peu les éléments structuraux de cette grande digue de silence qui me bâillonne, le flot n'est pas loin. Plusieurs l'apprennent à leur dépens ; je peux devenir volubile à l'écoeurement, vraiment.

Alors pourquoi est-ce que, assis devant un cahier ou un bout de papier, les yeux dans le vide, la tête en quête d'idées, j'ai cette difficulté, dernièrement, à mettre quoi que ce soit en mots ? J'en veux pour preuve l'élasticité hallucinante de mes silences ici, sur le blogue. Alors que j'avais tant de sujets à aborder il y a un an, et que j'ai des tonnes de brouillons de publications qui ne demandent rien de mieux qu'à être finalisés, je trouve difficilement quelque chose à dire qui en vaut la peine. La politique française et américaine ? Je ne m'y connais pas suffisamment (ce qui, soit dit en passant, devrait être un filtre personnel davantage utilisé à l'ère des médias sociaux). Les cas de journalistes et écrivains emprisonnés de par le monde, sur lesquels je travaille pourtant régulièrement de par mon implication avec P.E.N. International ? Trop politique pour les visées de ce blogue, et trop redondant lorsque j'essaie de diversifier mes modes de création, et non de les unifier. Ma vie ? Ha ! Qui est-ce que ça intéresserait, j'aimerais bien le savoir. Et ainsi de suite. Rien ne me paraît particulièrement intéressant, tout me semble usé, hors sujet, vaguement ennuyant à aborder.

Et c'est ce qui me frappe, aujourd'hui, après avoir passé de longs mois à me pencher sur ce problème.

L'ennui n'est pas que je n'aie rien à dire.

L'ennui est que j'ai TROP à dire.

Sur tout.

Oh, là là... Sur tout, vraiment. Je veux dire, qu'est-ce que c'est que ce monde viré à l'envers dans lequel on vit ? Dans lequel on s'échine pour des bagatelles. On pâlit devant la morale comme devant un fantôme. On érige des idoles sur les gravats d'autres idoles dépréciées. On poursuit notre queue sans envisager la douleur atroce du jour où on la croquera.

Des paroles, j'en ai par colliers, par guirlandes, j'en ai suffisamment pour me rendre à la Lune puis me pendre après elle comme un pendule au-dessus de ce désastre resplendissant qu'est la civilisation humaine. Je pourrais jouer les épées de Damoclès, me balançant comme un lustre aiguisé, prêt à fondre sur le premier Trump ou Le Pen ou Erdogan ou peu importe. J'ai des Boîtes de Pandore à offrir en cheval de Troie.

Des choses à dire, j'en ai.

Mais les dire ?

Et si oui, lesquelles ?

Le problème à trop vouloir et à trop bien vouloir, est qu'on finit par ne rien accomplir du tout. Parce qu'à vouloir réellement, sans concession, on veut également à la perfection. On attend le moment propice. L'approbation de la Muse. Pourquoi aborder tel sujet quand on n'a pas toutes les informations ? Quand on entrevoit la possibilité d'être dans l'erreur ? Quand on a une quantité astronomique d'autres sujets et obligations qui requièrent notre attention ? Quand, sur le moment, la procrastination est tellement plus satisfaisante, même si nous mourrons à petit feu dans ses bras vampiriques ?

J'ai peut-être trop entrepris en un coup.

J'ai cette tendance à porter des montagnes à bout de bras. À la longue, ça épuise, mais comme on est en-dessous, tout laisser tomber devient tout aussi risqué.

La guitare, les livres, le blogue, P.E.N. International, les ateliers, les contrats, les enfants, les lectures, l'exercice, les langues, les échecs... c'est pas mêlant, je me prends parfois pour un processeur PC nouvelle génération. On ne peut pas exceller dans tout, et on ne peut pas tout parfaire. S'empêcher d'accomplir une action parce qu'elle vient gober le temps et l'énergie nécessaires à l'accomplissement de trois autres actions dans la journée est contre-productif. Et dans un monde où on exige de chacun qu'il sache et maîtrise tout, tout le temps, au risque de paraître niais, ça devient très rapidement toxique ; encore une fois, à l'ère des réseaux sociaux, le moindre de nos défauts est exacerbé par les armées de paladins en armure prêts à nous fondre dessus à la moindre occasion. Un mot de travers, et c'est le lynchage public. Une inexactitude, et c'est la honte jusqu'à la fin des temps. Une erreur... Le risque de l'action a pris des proportions qui rendent son exécution périlleuse si elle n'est pas parfaite ou si vous n'êtes pas prêt à encaisser de solides crochets au foie.

Avoir trop à dire, et finir par ne rien dire du tout, parce que l'esprit est englué dans une trop grande multitude de discours, incapable de tirer l'écheveau qui se présente à lui sans tout foutre en désordre.

Avoir trop à faire, et finir par ne rien faire du tout, parce que le corps est à ce point épuisé de tout contenir et de se réserver à chaque action qu'il finit par ne rien accomplir, de peur de léser une autre obligation qu'il n'accomplira pas davantage.

Un grand Tao de la non-action aux antipodes du vrai Tao. La non-action qui détruit, au lieu de la non-action qui nourrit.

J'ignore ce que je ferai de tout ça, je ne planifiais pas développer une réponse satisfaisante à cette problématique aujourd'hui. Mais la mettre en mot est déjà un pas dans la bonne direction.

Pour l'instant, une restructuration du quotidien est de mise, je pense. Et une restructuration du discours écrit. Il ne suffit pas de tout savoir et de posséder un million d'intérêt ; la magie semble plutôt résider dans l'aptitude à pouvoir concentrer toute son attention et son énergie à une seule et même tâche, à un seul message, à un seul discours à la fois. À se donner tout entier à l'action du moment afin de la rendre significative, et d'avoir suffisamment foi en l'importance de cette action pour qu'il n'y ait pas empiètement sur les autres actions que nous désirons poser. Cloisonner nos actions dans la pierre poreuse. Exister entièrement dans chaque geste (un principe très Zen à la base). C'est pourquoi les esprits étroits sont également aussi bornés ; aucune résistance avec soi-même lorsque l'horizon de nos convictions a la largeur d'un fil à pêche. Facile de tendre à un idéal. Je suis de l'autre espèce, de ceux qui, à trop embrasser, étreignent mal.

La conviction du borné et l'ouverture de l'esprit large.

Cet équilibre, voyons s'il est possible.

Félix


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