Ramener le bonheur
(J'ai écris ce billet il y a deux mois déjà et j'hésitais à le partager. Cependant, après relecture, je retrouve encore la puissance de son écho. Aussi, je décide de vous l'offrir aujourd'hui. Merci de me lire !)
On ne devrait écrire que par bonheur. On ne devrait faire les choses que l'on fait, en réalité, que par bonheur.
J'ai pris un peu de recul ces derniers temps pour soupeser les différents aspects de ma pratique. Qu'est-ce qui est sain, qu'est-ce qui ne l'est pas, qu'est-ce qui est nécessaire, qu'est-ce qui pourrait disparaître, etc.
Je constate que tout se réduit au bonheur que l'on éprouve en effectuant une tâche.
Tout.
Et dernièrement, je dois l'avouer, l'écriture m'a paru davantage une sorte d'obligation qu'un pur élan de joie créatrice, comme elle le devrait. Du moment, par exemple, où je me suis obligé à produire un article de blogue à chaque semaine, l'étincelle est morte ; quoi écrire les semaines où je n'ai rien à dire ?
Malgré ce qu'on pourrait penser (peut-être ? je sais pas ; on a tendance à vivre et à réfléchir dans le très approximatif) les artistes ne vivent pas en isolement permanent. Ils appartiennent à une sorte de bassin culturel qui les enveloppe et les influence, et leur dicte parfois même les sutras de leur pratique. L'éditeur, la célébrité, l'ami artiste, le professeur, le lecteur, les autres artistes, tout ça s'amalgame en une furieuse multitude de feedback qui vous mitraillent en continue. Une espèce de partie de paintball free-for-all où tu dois te rallier à ceux qui tirent d'une certaine couleur pour maximiser tes chances de survie sans trop te faire beurrer.
L'ennui c'est que, à un moment donné, ça écoeure. Parce qu'invariablement, tu finis beurré pareil. Y a pas de choix ; tu ne peux pas plaire à tout le monde, tout le temps.
Je vais même aller plus loin : Tu peux pas gagner.
C'est impossible. La partie de paintball n'est pas faite pour être remportée. Elle est faite pour créer des clans. C'est très tribal, les arts.
Je dis ça parce que ça m'a frappé au cours d'un échange avec une amie auteure, Audrée Wilhelmy. On parlait de création de personnages et elle m'expliquait sa manière de procéder quand j'ai réalisé que c'était exactement ce que je faisais moi aussi ... il y a douze ans ! Et à l'époque, écrire était l'activité la plus plaisante au monde ; j'y bûchais toute la journée, parfois jusqu'à 3 heures du matin. Et même plus récemment, il y a quatre ans, lorsque j'écrivais L'Horloger, c'était par pur plaisir. Je me fichais de ce qui se faisait ou non, de qui avait remporté quel prix, de quelle maison d'édition publiait quoi, de qu'est-ce qui se vend ou non, de quel style adopter pour plaire au lectorat, etc. J'écrivais, et je trippais fort.
C'est ensuite que le plaisir a été essoré de l'acte. Parce que le second livre doit répondre aux attentes des éditeurs (le second livre est un enfer moral et psychologique, dans mon cas, puisque tout ce que je fais est expérimental). Parce que je dois non seulement faire des dédicaces, mais apparemment je dois aussi être sociable (yo, j'ai passé 90% de ma vie devant du papier, puis du papier, ben ça jase pas fort). Parce que je dois connaître, apparemment, tout ce qui se fait au Québec et dans le monde en matière de littérature moderne (tsé chose bine qui a été ben ben populaire y a trois ans... me souviens pu son nom là... ben non, je l'ai pas lu.). Parce que je dois avoir lu telle patente, pis telle gogosse. Parce que je dois répondre à une sorte de stéréotype de l'écrivain que les écrivains eux-mêmes perpétuent (comme la foutue mode de "l'artiste au foulard", ou bien les lectures publiques et activités du genre qui me laissent froid et, à vrai dire, me glacent le sang, ou encore le gros gros mythe qu'un écrivain doit toujours avoir le nez dans un livre, comme si c'était là que ce qui mérite d'être écrit se passait).
Parce que, en gros, je dois être écrivain pour les autres. Je dois, d'une façon, mériter le nom. Gagner un prix, ou quelque chose. Avoir l'air de la vraie affaire, studdé jusqu'aux orteils avec un piercing, les cheveux physiquement incompréhensibles et les yeux, grands, grands ouverts comme un Puss-in-Boots échappé de la fourrière.
La partie de paintball, elle vient te colorer jusque dans la gorge. Elle t'étouffe à coup d'arcs-en-ciel. Puis à un moment donné, tu regardes autour de toi, puis tu comprends plus trop ce que tu fais là, ni qui tu es devenu sous ta couche de peinture.
Je ne suis pas en train de donner ma démission au monde de l'écriture, loin de là. Mais je prends du recul. Je me stresse depuis des mois à essayer de légitimer une place que personne, au fond, ne peut me donner à part moi-même. J'écris des livres. Et j'écris ce que je veux. Pis c'est ben en masse pour être écrivain. Que le courant actuel soit à téter le lecteur, comme partout ailleurs (tous les sous-systèmes d'une société reproduisent le système global ambiant, et en ce moment, c'est la désintégration des liens relationnels au profit des petits plaisirs individuels sans lendemain, des profits rapides et des expériences éphémères modelées aux individualités), ce n'est pas une surprise. Mais je me détache de ce front. Je serai sur les flancs, là où les coups viennent par surprise. Je vais lire ce qui me chante, et écrire ce qui me chante, et vivre mon écriture comme ça me le dit. Je lis Les Poètes d'Aragon en ce moment. Un recueil génial. Même s'il a presque 50 ans. J'écris un livre qui me plaît, comme les autres livres que j'ai écris depuis quatre ans. Des livres qui portent un message, des livres profondément humains. Pas parfaits ; aucun livre ne l'est. Pas parfaits, mais humains. Et c'est suffisant. Je me fiche de savoir si ça réveille une petite flamme dans le coeur du lecteur ; ça apaise un brasier énorme dans le mien, et c'est ce qui compte. Mes histoires vibrent sur des cordes que j'ai moi-même filées. J'ai suffisamment d'expérience pour savoir où dénicher, à la lecture, la vibration d'un auteur, même ceux qui me répugnent. Et c'est ce qui manque, je trouve, au lectorat actuel, la capacité de se défaire de ses attentes pour embrasser la pleine vibration de ce qu'on lui propose.
Mais je m'égare, peut-être. Dans cette pagaille colorée, je ressens une constante pression à suivre un courant ou un autre, à m'inscrire dans le marbre quelque part, quand tout ce qui devrait compter, c'est le plaisir que l'action apporte.
Alors c'est ce que je vais faire. Je renoue avec le bonheur d'écrire. Je me sens tout décoloré, j'ai besoin de retrouver ma palette d'origine. De me remettre à la recherche d'histoires, et non de légitimité.
Et la beauté de l'affaire, c'est que c'est simple. Suffit de s'installer, crayon en main, de s'abandonner aux mots et de griffonner : «Il était une fois...»
Félix