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Fragments de journal

Fragments de journal

28 juin 2016

Ces quelques mots sont tout ce que je peux offrir. Ils viennent à moi, arrachés à leur terre, déracinés, et moi, je peine à les planter bien droit. L’un s’incline et recouvre la terre, l’autre s’assèche et meurt, brindille raide effilochée dans l’air.

Ainsi se suivent mes ablutions désincarnantes : je m’arrache à moi-même pour mieux me transplanter en vous. Je me lave de moi-même pour un peu vous éclabousser. Et tout ne prend racine ni ne s’imprègne en vous, mais je m’en moque : tout n’est lavé ni arraché non plus.

Et la branche où mûrit le fruit de mes idées, Yggdrasil assoupi de ma voûte aux songes, cette branche invincible produit en continu. Et la boue qui me tache parsème mon chemin où mes pieds vont, nus, s’ébattre dans les flaques. Où mon cœur roule et chute et se salit souvent.

Ces mots continueront, que vous lisiez ou non.

27 juillet 2016

Pointe-Canot, Nouveau-Brunswick

Essayé de lire hier soir. Difficile de trouver un peu de temps mort pour s’adonner à quoi que ce soit.

Je préfère observer ; eux préfèrent photographier. Mon père voudrait tout visiter et planifier tout un tas de sorties, alors que moi, il me semble, je préfère contempler la mer d’ici et laisser ce paysage s’incruster lentement en moi. Voir, c’est bien, mais ce serait une grande tristesse que de repartir d’ici inchangé.

Le voyage doit vous changer, autrement vous n’êtes pas vraiment allé ailleurs. Faire des centaines ou des milliers de kilomètres pour demeurer soi-même, où est l’intérêt d’une telle chose ?

Moi, je regarde l’horizon, presque infini par endroit, et je tente de percer son mystère. Et le bruit des vagues, lorsque nous arpentons la plage, et le coucher du soleil, nappe de lumière moirée sur les eaux, et les reflets argentés sur les vagues — on dirait une procession de mailles et d’armures glissant d’un même accord, on dirait un immense miroir, une plaine de tessons brillants remués par les vents. Quelque chose dans ces reflets clignotants sur l’eau en change la nature, comme si la mer devenait en partie lumière pure. Ce n’est plus de l’eau. Ça a une beauté hypnotique : on la regarderait incessamment.

Un pétillement de feux blancs dans les pores de l’eau.

Le ciel est en cirrus stratifiés, effilochés, certains se désintègrent en granules. On croirait un grand givre sur le vitrail bleuté des nues. Au loin, de brumeux cumulus se perdent dans le bleu pourpre des horizons, montagnes ouateuses agglomérées, gonflées par la mer. Un aigle pêcheur plonge.

L’horizon nu. Perplexité.

Trop de rectiligne courbaturé, incurvé sous le ciel, pour l’entendement. Impossible à embrasser. L’œil et le cerveau ne savent qu’en faire. Il faut fixer, contempler, longtemps.

Les hauteurs pâles et bleues des côtes de la Gaspésie.

Assis en attente d’un coucher de soleil qui ne viendra sans doute pas. L’ouest donne au beau milieu des eaux et pourtant, en quatre nuits, nous n’avons pas encore eu droit à un coucher de soleil digne de ce nom.

Allé me promener sur la plage et les galets, à marée basse. Vu quelques crabes, beaucoup d’huîtres et de palourdes. Observé la marée remonter, lentement, irrémédiablement, avalant un à un les cailloux.

Trop de détails pour l’œil. Il faut s’arrêter et contempler. Noter chaque roche, chaque grain de sable, chaque coquillage, chaque reflet sur chaque vague...

Il me faudrait des mois pour digérer autant d’informations...

15 septembre 2016

Écrire ici, en face de l’ordinateur, bombardé par les distractions, c’est comme ne pas écrire. À chaque instant, mon regard fuit vers l’écran pour s’assurer de ne rien rater : un commentaire, un courriel, un « like ».

Il me faut un bureau.

Et une liste de priorités.

Il y a quelque chose de déconcertant à connaître davantage d’auteurs, à les avoir parmi mes contacts : un viscéral sentiment d’être un intrus. L’impression oppressante de ne pas être à la hauteur.

C’est un moment difficile à traverser, je pense. L’horaire bouleversé, les difficultés financières... On peut difficilement écrire lorsque tant d’ennuis accaparent les ressources du cerveau. Bukowski dira ce qu’il voudra, survivre et posséder un minimum de confort sont essentiels pour écrire. Pour se consacrer à la discipline. Certains besoins doivent être comblés en priorité avant d’accéder à l’état d’esprit nécessaire, au juste équilibre entre relâchement et tension, à l’élasticité, oui, qu’exige l’écriture.

Et je ne parle pas de besoins complexes ou dispendieux ; un peu de confiance en soi, un peu de sécurité, un peu de nourriture dans le ventre, un peu d’amour. Du repos, aussi. Il faut pouvoir se permettre l’exercice apparemment inabordable de tout stopper pour écrire.

Il faut qu’il y ait quelque chose à stopper, dès le départ, pour écrire.

L’écriture n’est qu’un interlude entre deux morceaux de vie.

20 septembre 2016

Au Temps Perdu, pour la première fois depuis un mois. Pris le temps de méditer ce matin. Les journées sont bien plus calmes et structurées depuis que mon fils va au service de garde.

Je me suis même remis à pratiquer le clavier ! Les gammes majeures me sont revenues à une vitesse surprenante, et hier soir, déjà, je pouvais jouer la première partie de « Emma —'till the dawn of day", des deux mains.

Il me faudra faire de la place pour la lecture aussi dans tout ça, mais pour l’instant, tant que j’écris et que le Prisonnier avance, tout est au mieux.

L’énergie que je possède (ou qui me possède) en ce moment est fort singulière : je l’attribue sans peine à l’automne qui approche. On dirait que l’été m’épuise. Trop chaud, trop bruyant, trop mouvant. Trop d’hormones en fleurs pour les belles femmes qui vont et viennent et me brûlent les entrailles d’un désir pulpeux et acide.

Dans les moments comme celui-ci, j’ai l’impression d’œuvrer à une grande tâche à laquelle ont œuvré, avant moi, tous les écrivains et penseurs. Il est de ces jours où j’observe mon parcours et mes pensées enroulées sur elles-mêmes, parfois déroulées sur quelque bout de papier, et je constate que ma voie est la même que la leur, que je fais tout ceci non pour la gloire, mais pour la Vérité. Pour ajouter à cette longue et serpentine voie une menue briquette, une dalle nue.

Le voyage est son propre but.

C’est là, précisément, où je me bute aux conventions et à ces nécessités éditoriales. Ma quête divergeant de la leur, pourquoi dois-je, malgré tout, me soumettre à leur dictat ?

Je ne vise pas, par exemple, à écrire un best-seller. L’Horloger ne se voulait pas “vendeur”. C’était plutôt une tentative allégorique, un travail de symbiose entre le récit individuel et l’imagerie de cette vaste lutte entre le passé dévorant et le futur impalpable. Tant mieux si le livre a plu. Mais je ne visais pas à plaire. Même chose pour Plomb, et pour le Prisonnier, et davantage encore pour Les Rêves de Naguère. Rien de tout ça ne vise à être aimé, et c’est pourquoi, je crois, leur lecture est déstabilisante. Ce n’est pas une conversation entre moi et le lecteur ; c’est une conversation entre moi et un Idéal, et le lecteur n’est qu’un témoin. Et il faut donc un lecteur sans attentes et libéré des dogmes pour y trouver un intérêt, autrement, et fort à propos, il ne peut lui venir à l’esprit que des critiques. Et puisqu’il n’est qu’un spectateur et que ces critiques, il ne peut les verbaliser ni espérer les dissoudre, il se contente de fermer le livre. “Quel mauvais livre.” Dira-t-il. Parce qu’il espérait un livre qui lui offrirait la confirmation de son dogme. Parce que, pour ces esprits, la chose décalée est une chose suspecte, voire dangereuse.

L’Apologie aussi, que j’ai oublié plus haut, entre dans cette catégorie d’œuvres qui laissent perplexe. Et tous ces livres que j’ai écrits peuvent, individuellement, sembler d’étranges créatures. Mais réunies en un seul corpus, leur unicité et leur amplitude prennent un sens nouveau ; les styles s’accouplent les un aux autres, le lyrisme du Prisonnier, la froideur de Plomb, la nudité de l’Apologie, le cru ici, les atours et les arabesques là, c’est cet ensemble qui représente ma quête, c’est lui qui, peut-être, à la toute fin, me définira le mieux, qui marquera d’un X à l’encre rouge le morceau de terre délavé où gît mon cœur.

Félix


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