Exposition et Expression : les deux pôles de la communication
Exposition et Expression : les deux pôles de la communication
Deux auteurs archétypes s’opposent systématiquement quant à leur habileté à communiquer un propos : le journaliste-reporteur et le poète.
Le premier se dévoue à transmettre une information claire et accessible. En ce sens, son point focal est le récepteur (le lecteur). Le souci premier du reporteur est donc que le propos soit compris et qu’il suscite l’intérêt ; c’est l’Exposition.
Le poète, de son côté, s’acharne à traduire des idées en mots. Aussi, son attention se porte tout entière sur ses sensations et impressions. Son souci premier est que le propos épouse son monde intérieur et qu’il soit subordonné à son exploration ; c’est l’Expression.
L’un n’exclut aucunement l’autre. Tout bon auteur, dans les faits, se doit de maîtriser l’art de l’Exposition et celui de l’Expression pour arriver à ses fins.
Cependant, il est bon de reconnaître où se situent nos forces et nos faiblesses entre ces deux pôles ; une absence ou une surreprésentation de l’un de ces extrêmes est à éviter et relève, en général, de l’amateurisme.
Ainsi, un texte excessivement explicatif ne communique aucune énergie. Pensez à une liste d’épicerie qui s’étalerait sur des pages interminables... Quel ennui ! L’auteur est absent de chaque mot, les référents sont externes au lecteur, il y a profusion de détails inutiles... en somme, ce texte est si précis et collé à la surface des choses que sa lecture n’a, dans l’extrême, aucun intérêt.
Un texte trop expressif, lui, produira l’effet inverse ; sa densité et son hermétisme rendront sa compréhension impossible. Pensez à un texte de ce type : « Mes imprécations diluviennes s’échafaudent aux cris obliques des élans ingénus reconnus aux caves de mes morbides rencontres ! » Ces textes sont pires que les précédents, pour une avalanche de raisons. D’abord parce qu’ils échouent à communiquer leur propos (la liste d’épicerie a le mérite d’être d’une clarté abrutissante). Ensuite, parce que les auteurs de ce type de textes souffrent manifestement d’un ego fragile auquel il répugne d’utiliser des formulations simples. Il existe une différence fondamentale entre un poète cohérent dans son hermétisme (Saint-John Perse en est un criant exemple) et un poète gavant cet hermétisme jusqu’à l’incohérence. Pourquoi écrire si vous seuls pouvez vous comprendre ? On peut légitimement exiger du lecteur un certain travail intellectuel, mais il y a différence entre le guider à bon port sur une barque sûre et l’abandonner en plein ouragan sur un radeau de bambou.
Un autre problème avec ces textes est le mauvais contrôle évident des champs lexicaux. Il existe, grossièrement, deux principes fondamentaux régissant la « bonne » (notez les guillemets) utilisation des champs lexicaux : 1- leur diversité est inversement proportionnelle à la clarté du propos ; 2- leurs rencontres sont source soit de fluidité (lorsqu’ils s'épousent), soit de cassure (lorsqu’ils sont antithétiques). La maîtrise de ces principes confère aux mots puissance et fluidité, comme un grand fleuve où les vagues se fondent une à l’autre ; le contraire crée des remous qui brouillent tout repère et égare le lecteur.
Si tout ceci vous semble nébuleux, supposez la situation suivante : vous invitez chez vous une personne dont vous êtes follement amoureux, et elle accepte.
Dans ce cas précis, déclarer votre passion est de toute évidence votre objectif. Pourtant, il faudra bien commencer par ouvrir la porte...
Simpliste, oui. Mais, c’est ainsi que l’écriture doit être abordée. Si personne ne lit de poésie, ce n’est pas parce que ces textes manquent de qualité ou de profondeur, mais parce que la poésie semble hors d’atteinte pour la majorité ; la porte leur semble verrouillée. Si un très grand nombre de gens lisent des blogues et des articles de nouvelles, ce n’est pas pour la qualité de la plume de l’auteur, mais parce que ces textes leur fournissent exactement ce qu’ils cherchent.
La première étape de toute communication consiste donc à ouvrir la porte, à donner au lecteur ce pour quoi il est venu : une matière claire et concise. Ce n’est qu’ensuite que vous pourrez parler de votre passion pour les promenades en forêt et de votre recherche infructueuse de l’âme sœur (ou de tout ce qui vous semblera approprié).
Le mot ne doit donc être envisagé ni comme le résultat d’un intense travail interne ni comme le précurseur d’un essor dans le monde, mais plutôt comme un transit. Le mot que vous apposez au papier doit commencer son parcours dans l’Expression et le terminer dans l’Exposition. Il doit être le lien entre vous et le lecteur, et cette réflexion doit le guider du départ à l’arrivée. Plus intime votre connaissance de ce trajet, meilleure sera votre habileté à communiquer efficacement des idées complexes. Et si l’une ou l’autre de ces deux facettes vous est hostile, concentrez-y vos efforts, apprivoisez-la, défrichez.
Cela peut être aussi simple que d’oublier les « imprécations diluviennes » et les « morbides rencontres » pour écrire plutôt : « Je jure quand je me cogne le petit orteil. »
Félix
