Les avantages de tenir un journal d'écrivain
Tenez-vous un journal ?
C'est une habitude qui nécessite un peu de rigueur. Dans les débuts, il peut être ardu de trouver quoi y mettre. Après tout, nous n'avons pas tous le privilège de posséder une vie haute en couleur ; la mienne est tenue avec rigueur au troisième trou de ceinture de ma routine.
Pourtant, je m'assure chaque jour de placer quelques mots dans les pages de mon journal.
Mais à quoi cela sert-il, me demandez-vous?
Voici les principales raisons qui me rendent cette pratique indispensable :
Aborder le banal
Si, comme moi, vous habitez (ou êtes habités par) une routine, vous pourriez croire n'avoir rien d'intéressant à raconter.
C'est une pente dangereuse.
Il est évidemment bien plus agréable d'écrire à propos de votre voyage en Inde ou de votre ascension de l'Everest, qu'à propos de votre bol de céréales du matin...
Pourtant, n'avoir rien de nouveau à écrire est une opportunité fantastique d'aborder toutes ces réalités du quotidien qui vous sont, d'ordinaire, invisibles : la dame qui circule sur le trottoir, la mouche qui se heurte à la fenêtre, le bruit de la pluie sur la tôle, l'odeur du café, cet étirement qui fait craquer vos vertèbres après une longue séance d'écriture, le ronron du chat, un voisin qui claque sa porte, un appel téléphonique indésirable... Le quotidien est rempli de banalités qui n'en sont pas et qui donnent leurs saveurs aux jours.
Aborder le banal aide en prime à garder l'esprit actif et ouvert, prêt à tirer du réel un peu de nourriture pour les mots ; sans contredit, l'une des habiletés principales de l'écrivain.
Déterrer l'Humanité du quotidien
Chaque jour est un combat de l'Homme pour sa survie. Pour sa reconnaissance. Pour son bonheur. Chaque action, chaque souffrance, chaque objet existe seulement et uniquement dans le cadre très restreint de notre Humanité (je parlerai de cette vision dans un autre article).
Ce café, par exemple, existe parce que vous voulez demeurer alerte, ou alors parce que vous y avez agrippé votre dépendance. Il est cultivé parce que des gens, comme vous, le boivent, et parce que d'autres y gagnent leur pain quotidien. Dans nos sociétés, rien n'existe en vase clos. En chaque chose palpite un motif humain.
Et cela va plus loin. Pourquoi cette mouche qui se heurte à la fenêtre remue-t-elle en vous cette minuscule émotion, presque intangible ? C'est qu'elle pince une corde subtile de votre Humanité. Peut-être plaignez-vous sa condition, ou peut-être êtes-vous dégoûté. Peut-être souhaitez-vous l'écraser. L'unique raison, alors, pour laquelle vos yeux se sont arrêtés, un tant soit peu, sur cette mouche, est la présence de ce petit morceau d'Humanité.
Qu'est-ce qui différencie ce brin d'herbe de cet autre ? Ce nuage ? Cette odeur ?
Des heures de plaisir.
Apprivoiser la fluidité
Parce qu'un journal est déconnecté de tout objectif de productivité et qu'il fait la part belle à la spontanéité, il est un outil indispensable pour entraîner notre fluidité.
Qu'est-ce que je veux dire par là ?
Je parle de notre aptitude à synchroniser réflexions et vitesse d'écriture.
Avez-vous déjà vécu une situation où, alors que vous écriviez, tout vous paraissait soudainement d'une clarté sublime ? Ce moment où vous vous activez à faire sauter la plume pour arriver, dans les plus brefs délais, au summum de votre réflexion ? Et où, tout à coup, le rideau tombe, vous laissant à mi-phrase, égaré, contraint à prendre un long moment pour cogiter la solution à cette impasse ?
Le débutant écrit par blocs, par spasmes du muscle rédactionnel. L'expert, lui, développe une habileté à restructurer ses idées en phrases comestibles, sur-le-champ, et ce, sans jamais perdre de vue le but ultime du propos.
Tenir un journal peut donc être d'une grande aide pour apprivoiser la fluidité.
Commencez par écrire les choses comme elles viennent. Puis, avec le temps, sélectionnez dans l'éventail des possibles, et sans cesser d'écrire, les meilleures formulations. Ou un synonyme.
Ça viendra, n'ayez pas de soucis.
Titiller l'inspiration
Une autre qualité du journal est sa totale nudité. Je veux dire par là que vous n'avez à y exercer aucune pudeur. Aucune restriction.
Cela a pour effet de chatouiller agréablement vos neurones ; elles ont soudain le champ libre pour dicter ce qu'elles veulent ! Vous pouvez vous lancer dans quelques vers, puis dans un essai philosophique, avant de tomber dans une réflexion sur vos aspirations. Comme il n'y a aucune limite, pas même celles de l'acceptable, vous n'avez aucune raison de ne pas y écrire.
L'appétit vient en mangeant, et il en va de même de l'inspiration : elle n'atteint son plein essor que pendant l'écriture.
Travailler le matériau de base
L'aisance de l'écrivain vient de sa capacité à associer concepts et mots. Cela requiert d'abord une phase d'absorption (on apprend un nouveau mot), puis une phase exploratoire (on s'approprie le mot), et enfin, une phase de maîtrise (on utilise le mot de façon appropriée).
La phase d'absorption se fait d'elle-même : on discute, on lit, on écoute une chanson, on regarde la télévision, etc. Les mots et structures syntaxiques viennent constamment brasser notre mémoire linguistique.
L'intérêt d'un journal est de pouvoir explorer ces mots et structures, jongler avec eux, et les garder vivants afin qu'ils s'enracinent.
C'est en la travaillant avec diligence que l'écriture s'améliore, et c'est en s'amusant avec de nouvelles formulations qu'elles nous deviennent familières. Et pour cela, rien de tel qu'un journal.
Voilà qui est dit ! Vous avez désormais toutes les raisons de tenir un journal!
Si vous ne l'avez pas déjà lu, je vous recommande fortement le Journal d'André Gide, un exemple éloquent doublé d'une formidable lecture.